
Illustration par
Svétoslava Prodanova-Thouvenin
de Strinava
PILATE
Le destin les a enfin rencontrés : le procurateur, et ce Galiléen depuis trois ans et demi suivi par les foules et haï par les scribes… Il réveillait une flamme au fond du cœur ce Galiléen, Il suscitait une certaine curiosité intellectuelle… Et encore, le songe de Claudia cette nuit — les femmes prêtent beaucoup trop d’attention aux présages… Il faut quand même prendre l’affaire en main, tout cela menace l’ordre de l’Empire. L’Empire — un fardeau trop lourd sur les épaules d’un procurateur dans une province lointaine, au milieu d’une population hostile et étrange qui se croit être le peuple élu d’un Dieu pas moins étrange qui serait le Dieu unique, Roi de l’Univers. Roi — ce Galiléen — le Roi des Juifs ? On va commencer par là :
– Tu es le Roi des Juifs ?
Le regard du procurateur rencontra le regard de l’Accusé. C’était surprenant et troublant — il n’y avait ni peur, ni haine, une lueur… de quoi ?… Est-ce pitié ?!
– Dis-tu cela de toi-même ou d’autres te l’ont-ils dit de Moi ?
Il ne répondait pas ! Il posait Sa question. En Maître ! C’est vraiment énervant. L’ordre habituel de jugement, ordre de l’Empire… Il passe outre, ce Galiléen…
– Est-ce que je suis Juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres T’ont livré à moi. Qu’as-Tu fait ?
Pourvu qu’Il réponde. Qu’Il cherche à se défendre, à me défendre… Ai-je perdu la raison ?
Les yeux du Galiléen lui envoyèrent un rayon lumineux, palpitant de compréhension et de… de nouveau… la pitié… Il lui adressa la parole :
– Mon Royaume…
Enfin, la réponse. Tout retourne à l’ordre. Moi, je pose les questions, Lui — c’est à Lui de répondre, ça doit être intéressant d’entendre un de leurs prophètes.
– Mon Royaume n’est pas de ce monde. Si Mon Royaume était de ce monde, Mes gens auraient combattu pour que Je ne sois pas livré aux Juifs. Mais Mon Royaume n’est pas d’ici.
Mon Royaume… le monde. Le monde c’est l’Empire, un monde tumultueux que nous avons créé. Donc, Il ne s’attaque pas au pouvoir. Ouf ! Mais… mais Il est Juif, pour les Juifs le monde s’étend au-delà de l’Empire, touche les cieux, le monde que leur Dieu a créé… C’est dur de comprendre un prophète juif… mais je dois y arriver. Surtout ne pas lâcher prise :
– Donc Tu es Roi ?
– Tu le dis : Je suis Roi.
Ça y est ! Non… je n’y comprends rien…
– Je ne suis né, et Je ne suis venu dans le monde, que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute Ma voix.
Pour Lui il y a donc quelque chose de plus important que l’Empire… au-dessus de l’Empire, de César. Il est né pour… Claudia, ton présage… Vérité, quelle vérité ? Et nous, nous sommes nés dans un mensonge, immense comme l’Empire. Je veux savoir, comprendre, pour moi, pour Claudia — pour quoi Il est né ?
La question lui échappa :
– Qu’est-ce que la vérité ?
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Le procurateur sortit pour affronter le mensonge. La Vérité le suivit d’un regard plein de pitié.
o-o-o
La vérité ?
Dans notre monde, bâti sur les apparences trompeuses, la notion de vérité achève de disparaître. La multitude penche vers le mensonger, vers la satisfaction des besoins de la vanité. Le monde s’éloigne de ce qui est véritable, et suit dans les meilleurs des cas l’imitation de la vérité, dans les pires son antipode. Six mille ans sur ce chemin, et l’homme atteint le point où la vérité est inaccessible comme l’horizon, et s’il veut la pénétrer il doit prendre un autre chemin, jalonné de vérités simples qui mènent le pèlerin vers des découvertes inattendues.
Au début de la recherche il y a cette question : « Qu’est-ce que la vérité ? »
La réponse se trouve dans la Bible et invite au voyage spirituel : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Car, il y a un chemin à suivre, une vérité à embrasser, une récompense à saisir. La vérité est au centre de cette conquête tripartite, but et moyen en même temps, horizon et point de départ.
Tout d’abord il y a un chemin à faire. L’audace d’entreprendre un voyage constitue partie intégrante de la réponse que Dieu attend lors de notre appel : « Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie, dans vos ceintures ; ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni souliers, ni bâton ; car l’ouvrier mérite sa nourriture » (Matthieu 10:9-10). Nous sommes invités, tout au long du chemin, à nous débarrasser de tout ce qui fait obstacle à la vérité — nos convictions erronées, bien ancrées et confortables, nos craintes, nos habitudes intellectuelles… Comme le voyageur s’adapte aux exigences du terrain parcouru jusqu’à la fin du voyage, nous devons nous conformer aux multiples visages de ce qui est le plus stable dans l’Univers : la vérité divine. Stable ne veut pas dire figé, car l’amour de Dieu s’adapte aux lieux et aux temps, aux circonstances et aux caractères, tout en restant immuable sur ses principes.
La capacité d’accomplir le mouvement est l’une des exigences de la route. Faire la route vers la vérité et suivre la routine, rien de plus incompatible. Jésus est un chemin spirituel, céleste, où convergent des milliers de sentiers terrestres. Pour parvenir à la vérité il faut Lui faire confiance même quand Sa vérité va à l’encontre de notre « connaissance », de la tradition de notre Église, de notre notion du bien. « Vous avez entendu qu’il a été dit (…) Mais Moi, Je vous dis (…) » (Matthieu 5:21-48).
Car, habituellement, les Églises, les différents Groupes religieux, interprètent vite (dans un sens comme dans son contraire — selon leur pensée) les versets bibliques et décrètent la bonne compréhension, « la vérité » (puisqu’ils le disent !).
Un jour, quelqu’un de mes proches se souvenait de ses débuts de jeune adulte dans une Église, et me disait : « Dans le dernier entretien avant le baptême, ils me montrèrent un verset biblique et me dirent : “Ce qui veut dire que vous ne devez vous marier qu’avec quelqu’un de l’Église (sous-entendu : de notre Église, puisqu’elle seule est dans toute la vérité…).” Êtes-vous d’accord avec ce verset ? Extrême surprise de ma part ! Certes, ce verset je l’avais déjà lu, mais d’aucune façon je ne lui avais trouvé une telle signification (qui entraînait et entraînerait plusieurs conséquences très graves). Ce que je répondis. Tout en y mettant les manières ils m’expliquèrent que ce verset voulait bien dire une telle chose. Je compris tout de suite qu’ils ne me baptiseraient jamais sans mon acceptation complète de cette compréhension (donc, en fait, soumission à l’autorité du pasteur général de cette Église, lequel avait catégoriquement décrété cette interprétation comme une vérité, et même comme une doctrine absolue). » Honnêtement, est-il quelqu’un parmi nous qui n’ait pas vécu une telle expérience amère ? Ainsi la vérité devient-elle un champ de bataille, un sujet de discorde porteur d’amertume, un pilier de l’esclavage spirituel ! Et pourtant Dieu a donné au monde la parole de la vérité comme un message de paix, comme une base de la liberté !
C’est pourquoi chaque vérité doit être examinée à la lumière de l’esprit de Dieu, testée avec la prudence de la sagesse, obtenue par la prière. Éprouvée par la vie, elle peut alors devenir une aide dans la recherche spirituelle. Avérée fausse, elle doit être rejetée même si l’habitude ou son « utilité » tentent de lui faire une place dans notre vie.
Jean 8:32
« Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira.»
Il n’y est pas question d’une liberté absurde. Le révolutionnaire bulgare Yané Sandanski déclarait : « L’esclave lutte pour sa liberté, l’homme libre pour sa perfection. » Presque un écho à Jésus-Christ : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » Matthieu 5:48
C’est l’horizon à la portée de nos efforts — la vie dans la perfection. Pour cheminer toujours plus avant. Et contempler le paysage changeant et toujours parfait au long de la route — la vérité surprenante et vivifiante de Dieu.
Psaumes 119:37
« Détourne mes yeux de la vue des choses vaines,
Fais-moi vivre dans ta voie ! »
Psaumes 119:96
Version Segond :
« Je vois des bornes à tout ce qui est parfait :
Tes commandements n’ont point de limite. »
Bible de Jérusalem :
« De toute perfection j’ai vu le bout : combien large, ton commandement ! »
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Le centurion salua et sortit. Le procurateur aperçut sa femme qui était restée là, silencieuse comme le crépuscule qui s’installait déjà dans les coins de la pièce. La nouvelle devait courir les rues de Jérusalem, et, il ne pouvait dire comment, Claudia la connaissait…
Où était la vérité, la vérité sur ce Galiléen pas comme les autres ? Pourquoi le souvenir de Son regard le troublait ? Pourquoi cette éclipse du soleil lors de Son exécution ? Pourquoi cette rumeur qui menaçait de nouveau l’ordre mensonger de cette ville, de l’Empire ?…
– Je veux la vérité sur cette affaire — marmonna le procurateur et Claudia répondit comme un écho :
– La vérité ? Il était la Vérité même. La résurrection est le seul destin possible pour la Vérité !
Il y avait une note de triomphe dans la voix de sa femme…
Il aimait Claudia. Sa voix réveillait en lui les sentiments les plus nobles. Aurait-elle raison ? Qui sait…
Un serviteur apporta la lampe et la lueur de la flamme révéla les contours des objets dans la pièce et le visage résolu de Claudia.
La vérité prenait possession des lieux et des cœurs.
Svétoslava Prodanova-Thouvenin
de Strinava
& Patrick Thouvenin de Strinava
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